France : Un coup de maître dans une démocratie abîmée

ven, 24/10/2025 - 10:25

Sébastien Lecornu est-il revenu plus fort, au point de faire de l’ombre à Emmanuel Macron lui-même ? L’interview qu’il a accordée au journal de 20 h de France 2* a sonné comme un retour calculé, presque stratégique, dans un paysage politique en perte de repères. Homme du sérail, Lecornu a tenu à rappeler son parcours : « Je suis un homme politique. J’ai commencé par coller des affiches. J’ai été élu à plusieurs reprises, avant de devenir sénateur et ministre. » Ce rappel biographique n’est pas anodin. Dans une époque où les carrières fulgurantes et les figures parachutées dominent, il veut incarner la patience, l’expérience et la connaissance intime des rouages du pouvoir. Il affirme avoir appris à connaître « les hommes capables d’influencer les orientations dans les blocs parlementaires, syndicaux et dans la Société civile ». En d’autres termes, il maîtrise les arcanes du jeu politique — un art que beaucoup jugent disparu à l’Élysée depuis 2017.

 

Le défi de la majorité introuvable

Son constat est lucide : « Le défi majeur, c’est de trouver un homme qui n’a pas d’ambition présidentielle, qui ne court pas derrière le poste de chef de gouvernement et qui mettra les intérêts de l’État et des Français au-dessus du reste, pour mener une majorité parlementaire capable de voter un budget. » Derrière cette phrase se cache une critique à peine voilée de la présidence Macron : la France se retrouve dans une impasse institutionnelle où le Premier ministre devient le pivot d’une majorité fragile, tandis que le Président perd de sa capacité à incarner la direction politique du pays.

 

Macron, l’art manqué du possible

Le chef de l’État a multiplié les paris : réformes inabouties, dissolutions, recentrages, gestes d’ouverture… sans succès durable. Sa décision de rappeler un Premier ministre issu de la mouvance des gilets jaunes — et déjà démissionnaire — apparaît, pour beaucoup, comme un signe d’épuisement politique. Macron semble ignorer ce que la vieille école appelait l’art du possible : la lente construction d’un consensus, la retenue stratégique, et la capacité à ne jamais se précipiter — ni à faire marche arrière trop tard.

 

Vers un parlementarisme de fait ?

Ce glissement institutionnel est de plus en plus visible. Sous la Vème République, le président devait incarner la stabilité et la continuité. Aujourd’hui, le centre de gravité du pouvoir semble basculer vers Matignon et l’Assemblée nationale. Le Premier ministre, dépendant du Parlement plus que du Président, s’impose comme la véritable figure d’équilibre. Ce mouvement ne résulte pas d’une réforme constitutionnelle mais d’une fatigue démocratique et d’une érosion du pouvoir présidentiel. Et, dans cette démocratie abîmée, Lecornu pourrait bien être celui qui, sans le dire, amorce un tournant majeur : celui du retour au parlementarisme, sous le regard impuissant d’un Président dépossédé.

 

Habib Hamedy