Pour la démocratie/Par Isselkou Ould Ahmed Izidbih

jeu, 22/06/2023 - 12:50

Le mode de gouvernance le plus à même, à mes yeux, de procurer à notre pays, la Mauritanie une voie sûre et apaisée vers la stabilité politique, la concorde sociale et l’essor économique partagé, c’est la démocratie pluraliste.

           L’apprentissage laborieux                                 

La démocratie est, pour faire simple, une œuvre de longue haleine ; elle requiert de constants efforts de perfectionnement et d’adaptation, au gré des évolutions sociétales et des nécessaires anticipations des risques y afférents. Ne dit-on pas que «gouverner c’est prévoir »?
Depuis son lancement, après moult atermoiements, au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, en réponse à de fortes sollicitations septentrionales,  dans le cadre d’un changement géopolitique planétaire, le « processus démocratique » mauritanien a connu des hauts et des bas, attestés notamment par les conditions d’organisation des scrutins électoraux successifs. Certains milieux politiques, au pouvoir à l’époque, se sont crus plus futés que tout le monde, en procédant périodiquement à des élections « formelles », pour esquiver les pressions extérieures, d’une part, et procurer un semblant de légitimité à des pratiques administratives, longtemps restées bien en deçà des standards minimaux en la matière, d’autre part.
C’est à une telle école « républicaine », modérément soucieuse de la conscience nationale, de la liberté d’opinion, des règles de transparence et de  probité, que s’initia le citoyen mauritanien « lambda » aux concepts et à l’exercice de la démocratie. Une myopie politique « originelle » dont se ressentirait longtemps, en aval, la démocratie dans notre pays. En dépit de l’emprise d’un pouvoir « hybride », certaines forces politiques nationales ont persévéré dans leurs efforts visant à promouvoir une démocratie authentique, avec l’objectif de préserver les intérêts vitaux du pays, au sein d’un monde en rapide mutation. Les récurrents rafistolages procéduriers, consentis par le pouvoir « républicain », n’ont guère réussi à décourager ces efforts fournis par les élites mauritaniennes en faveur de l’instauration d’une démocratie véritable dans le pays ; le pouvoir d’alors fut rapidement confronté à une série de violentes secousses dont la dernière, en 2005, eut pour conséquence de déposer le chef d’État et de lui substituer son Directeur général de la sûreté nationale, homme de confiance et complice dans le coup de force, ayant propulsé le premier à la tête de l’État, une vingtaine d’années en amont. Le nouveau pouvoir réussit donc à “faire
bouger les lignes”, sur le plan de la transparence électorale, à telle enseigne qu’un candidat présidentiel “officiel” (paix à son âme) fut, pour la première fois de l’histoire politique du pays, contraint, en 2007, par les forces démocratiques, à disputer un second tour qu’il remporta de justesse, et ce malgré la disproportion des moyens logistiques en sa faveur. Cette échéance présidentielle disputée marqua, à mon sens, la vraie naissance de la démocratie pluraliste dans ce pays ; les épisodes électoraux l’ayant précédé, depuis 1992, sont, au mieux, assimilables aux péripéties d’une longue et difficile gestation démocratique.
La première présidence démocratique du pays n’a guère duré longtemps, juste une année, en raison de l’improvisation de la candidature et  des nombreux “détails” laissés en suspens, de manière délibérée, par omission ou par manque de temps. Le "mouvement de rectification" (selon la terminologie d’un éminent homme politique du pays), décida de remettre les compteurs de la gouvernance nationale à zéro, dans un contexte interne et externe passablement tendu ; un contexte qui favorisa l’une des violations les plus graves de la souveraineté politique du pays. En effet, incapable d’organiser un dialogue national digne de ce nom, la classe politique mauritanienne, toutes tendances confondues, se résolut à prendre part à un conclave ubuesque, tenu en dehors des frontières du pays, en atteinte à la souveraineté, à la dignité et aux intérêts moraux du peuple mauritanien. Mais “à quelque chose malheur est bon”, la recrudescence des pressions internes et externes, était telle que le nouveau pouvoir, en mal de légitimité intérieure, n’eût d’autres choix que d’investir l’essentiel des ressources publiques disponibles, au profit des populations et du pays.
À la faveur du débat autour du « troisième mandat », rendu toxique par quelques laudateurs loufoques, un point de vue hostile à la flatterie anticonstitutionnelle et potentiellement hasardeuse pour la stabilité du pays, fut exprimé au sein du camp majoritaire de l’époque. Ce point de vue préconisait, en préservation des intérêts vitaux du pays, le franchissement, par la Mauritanie, du « palier ultime » sur le chemin de la démocratie pluraliste, via la tenue d’élections présidentielles apaisées, libres et transparentes, conformément aux standards internationaux en la matière.
Malgré l’amélioration constante des performances du pays en matière d’organisation de scrutins électoraux, le boycott quasi systématique, par des segments  essentiels de l’opposition démocratique, a procuré, à chaque fois, un argument tout trouvé pour remettre en cause l’intégrité des élections dans le pays.
L’élection présidentielle de 2019 s’est déroulée dans des conditions satisfaisantes, en raison notamment d’une participation record de candidats issus des rangs de l’opposition ; ceci n’a pas dissuadé certains acteurs politiques de questionner leur transparence, sans toutefois y apporter de preuves crédibles. Tant que les principaux candidats éconduits par le suffrage universel, ne concèdent pas, de bon cœur, leur défaite électorale et félicitent leur adversaire élu, notre démocratie ne franchira pas ce fameux « palier ultime » de crédibilité. D’aucuns pourraient, à raison, attirer l’attention sur le fait que, dans certaines démocraties pluralistes, il arrive que des candidats battus refusent de reconnaître leur défaite ; c’est l’exception qui confirme la règle, d’une part, et notre ambition démocratique pour ce pays, doit être l’exemplarité et l’excellence, d’autre part.
Avec des perfectionnements somme toute mineurs, les élections de 2019 n’auraient pu être contestées par aucun perdant, sous peine de se discréditer aux yeux de l'opinion publique nationale et internationale et d’hypothéquer ainsi son avenir politique.

              L’optimisme contrarié

J’ai volontairement pris le parti d’être optimiste voire naïf, en prenant part, à ma manière, aux dernières échéances électorales. En effet, au cours de la campagne pour le scrutin du 13 mai 2023, j’ai souhaité, via un écrit, que cet énième exercice électoral représentât « l’ultime palier », quasi irréprochable s’entendait, en matière d’organisation des scrutins électoraux dans le pays. Ce souhait n’était pas fortuit, car il se fondait sur d’indiscutables éléments factuels : la participation de tous les partis politiques nationaux à ces élections, sous l’égide d’une CENI multipartisane  ; le communiqué de la direction de la SNIM (15% du PIB et environ 5000 employés), poumon de l’économie moderne du pays, qui y affirma,  par écrit et pour la première fois, se tenir « à égale distance » des partis politiques en lice pour ces élections ;  la répartition, à part égale,  de l’appui financier public entre les vingt-cinq partis concernés, compte non tenu du nombre de listes présentées ou d’un quelconque critère autre que celui de la participation ; une certaine sérénité politique ambiante, un brin perturbée, il est vrai, par une cooptation perfectible de certaines candidatures et par des propos ataviquement antidémocratiques, tenus par des adeptes notoires des effets d’annonce, quelques heures seulement avant le lancement  de la campagne électorale, des propos vite recadrés, fort opportunément et le plus officiellement du monde ; la mise en garde écrite (une première aussi!) adressée, en prévision des élections, par le « Haut conseil de la fatwa et des recours gracieux», à l’ensemble des acteurs politiques du pays, y assimilant la fraude électorale, par quelque moyen que ce soit, au « mensonge » et au « faux témoignage », en se référant textuellement à un Hadith qui assimile ces deux péchés à celui du polythéisme ; et, pour couronner tous ses faits nouveaux et positifs, la lettre adressée, en des  termes clairs et apaisés, la veille de la campagne électorale, par SEM le président de la République, aux élites partisanes et au-delà, à toutes les forces vives du pays, les y incitant à veiller à la préservation des fondamentaux nationaux, tout en débattant « avec force, mais dans un esprit d’éthique publique et de responsabilité morale».
Le public mauritanien était fondé à vivre une campagne libre, pluraliste, apaisée et qualitative, eu égard à toutes les initiatives inédites et aux solides assurances ci-dessus répertoriées. C’est malheureusement tout le contraire qui eut lieu ; en effet, cette campagne électorale ne restera pas dans la mémoire collective mauritanienne, comme la plus féconde en propositions concrètes et novatrices pour consolider, à la base, l’unité nationale, ou lutter, à l’échelle régionale, contre la gabegie ou raffermir davantage notre expérience de la démocratie locale, ou revigorer et équilibrer territorialement l’économie du pays, ou réduire durablement les souffrances sociales de nos concitoyens les plus éprouvés, etc. À l’exception notable de performances artistiques fort honorables, il y a eu, tout au plus : une « présidentialisation » grotesque d’un débat, a priori, régional, départemental et municipal ; quelques manifestations burlesques d’ego démesurés ; une insidieuse propension à caresser l’électorat dans le sens des particularismes les plus étriqués (parfois, au mépris de la loi), doublée d’une tendance à simplifier les problèmes de société à la caricature et au mépris royal du détail, de la nuance et de la dimension ; une instrumentalisation électoraliste éhontée de la religion, dans un pays où l’Islam constitue le socle d’unité nationale ; quelques discours toxiques, assimilables à de « la violence sans contact », susceptibles de faire le lit des pires malentendus et dérapages ; les nuisances sonores et lumineuses en lieu et place des arguments et des idées ; le sacre de l’argent roi...
En guise d’appréciation au sujet de ce gâchis civique et national que fut, à mes yeux, cette campagne électorale, je voudrais inviter certains  hommes politiques de mon pays, à humblement méditer cette description succincte de la démocratie : « la démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. » (Pierre Mendès France).
La page de la campagne électorale fut prestement tournée, sans regret, par tout le pays, candidats en tête, avec l’espoir que le jour du vote finit par consacrer, en un jour, ce que deux semaines d’agitation vaine et absurde avaient visiblement échoué à faciliter : un scrutin libre et transparent, donc incontestable. Toute une journée de « silence électoral » ne fut pas de trop, pour que le pays reprît son souffle et retrouvât un minimum de confort sonore et un semblant de sérénité mentale.

                       (A suivre)